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Obligation fiduciaire, changements climatiques et facteurs ESG

Qu’est-Ce Que L'obligation Fiducière?

Le concept d’obligation fiduciaire est défini différemment, pour autant qu'il existe, dans plusieurs pays du monde. Toutefois, dans de nombreux territoires, les deux obligations suivantes figurent parmi les plus importantes et les plus fréquemment mentionnées pour les décideurs en matière de placement:1

  • Loyauté: Les fiduciaires doivent agir avec honnêteté et bonne foi dans l’intérêt de leurs bénéficiaires, équilibrer les intérêts divergents des différents bénéficiaires de manière impartiale, éviter les conflits d’intérêts et ne pas agir dans leur propre intérêt ou celui d’un tiers.
  • Prudence: Les fiduciaires doivent agir avec vigilance, compétence et diligence, en exerçant leurs activités, notamment l'activité de placement, comme le ferait une « personne prudente. »

Dans un cadre réglementaire, le concept d’obligation fiduciaire est le plus souvent reflété dans les fonctions des administrateurs et dirigeants de sociétés (y compris ceux des organismes sans but lucratif), la réglementation des caisses de retraite, les codes de gérance des gestionnaires d’actifs, des fiducies et des successions, ainsi que la règlementation appropriée en matière de services bancaires et d’assurance. Par exemple, la Cour suprême du Canada a déjà fait référence à la Loi canadienne sur les sociétés par actions en déclarant qu’elle:

« Oblige les administrateurs et les dirigeants d’une société à ‘agir avec le soin, la diligence et la compétence dont ferait preuve, en pareilles circonstances, une personne prudente. » 2

BCE Inc. C. Détenteurs de débentures de 1976

Vidéos explicatives de l’IFD

Le bien d’autrui : L’obligation fiduciaire et les risques liés aux changements climatiques, en compagnie de Roger Beauchemin

Sara Alvarado, directrice exécutive de I’IFD, s'entretient avec Roger Beauchemin, président et chef de la direction d'Addenda Capital, sur ce qu'implique l'obligation fiduciaire, sur les raisons pour lesquelles les investisseurs prêtent attention aux risques posés par le changement climatique et sur ce que les organismes de réglementation au Canada doivent faire pour clarifier les choses.

Pourquoi Parler De L’obligation Fiduciaire Et Des Changements Climatiques?

La compréhension de l’obligation fiduciaire par les administrateurs et les dirigeants de sociétés détermine la nature même des comportements et des pratiques de placement des entreprises. Par conséquent, clarifier l’interprétation juste de l’obligation fiduciaire pourrait avoir un impact majeur sur les décisions de placement actuelles et futures, ce qui aura une incidence sur l’évolution de notre économie. Par exemple, la redéfinition de l’obligation fiduciaire pour les investisseurs institutionnels dans les années 1990 a changé le paysage des placements, transformant les grandes caisses de retraite qui se contentaient de placements ennuyeux et passifs dans des obligations d’État et des bons du Trésor, en joueurs importants sur les marchés boursiers publics, et par la suite dans les fonds de couverture, les placements privés, l’immobilier et les infrastructures. Pour en savoir plus protéger l’économie canadienne du climat

Jusqu’à récemment, beaucoup de décisions et de placements reposaient sur la prémisse que les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), y compris les changements climatiques, sont négligeables ou non pertinents et ne devraient pas l’emporter sur d’autres considérations – bref, ils n’étaient pas considérés comme des « facteurs de risque »  dans l’évaluation d’un placement. Toutefois, l’intégration des facteurs ESG devient rapidement la norme en matière de placement. Par exemple, au quatrième trimestre de 2021, les Principes pour l’investissement responsable (PRI) des Nations Unies comptaient 4 375 signataires, ce qui représentait 121 000 milliards $, contre 6 000 milliards $ en 2006, et leur nombre continuait d'augmenter.

L’un des facteurs qui explique la plus grande adhésion aux PRI est le fait que les investisseurs ont saisi que les facteurs ESG, y compris les changements climatiques, représentaient un risque financier important. Par conséquent, ils doivent être pris en compte dans l’évaluation des occasions de placement et intégrés aux processus de gestion du risque. Ne pas tenir compte de ces facteurs a entraîné de plus en plus de risques juridiques. Par exemple, le Sondage sur l’investissement responsable 2020 de la Banque Royale du Canada mené auprès de 809 investisseurs institutionnels et conseillers en placement de partout dans le monde a révélé que 75 % des personnes interrogées intégraient les facteurs ESG dans leurs décisions de placement et que 63 % le faisaient parce qu’elles estimaient que cela faisait partie de leur obligation fiduciaire.3 La reconnaissance des enjeux ESG et des changements climatiques comme facteurs de risque pertinents exercera des pressions supplémentaires sur les sociétés pour qu’elles fournissent des renseignements plus complets et normalisés sur les facteurs ESG et les facteurs climatiques. Pour en savoir plus.

Autrement dit, une reconnaissance plus claire de l’importance d'étendre la portée de l’obligation fiduciaire aux facteurs ESG et aux changements climatiques aura une incidence directe sur la part des actifs mondiaux investissables d’environ 121 000 milliards $ qui intègre ces enjeux, en plus d’améliorer la qualité des décisions de placement et d’affaires qui en découlent.

Comment Évolue La Réglementation?

Depuis 2013, la réglementation australienne exige que les stratégies de placement des caisses de retraite expliquent comment les facteurs ESG ont été pris en compte, même lorsqu’ils ne sont pas quantifiables. Depuis 2015, la Korean National Pension Services Act exige que les caisses de retraite prennent en considération les facteurs ESG et précisent dans quelle mesure ils ont été pris en compte.

Aux États-Unis, il n’existe aucune obligation stricte de tenir compte explicitement des facteurs ESG dans les politiques de placement des caisses de retraite. Toutefois, il est clairement permis d'intégrer ces enjeux dans les décisions de placement. Autrement dit, il n’est « pas interdit » d’en tenir compte, mais ils sont considérés comme secondaires dans l'évaluation du risque financier et du rendement de l’ensemble du portefeuille de placement. S’ils sont intégrés, ils nécessitent la même analyse prudente et rigoureuse de la convenance et de l’impact, et l’interdiction d’accepter un rendement inférieur ou un risque accru dans la poursuite d’objectifs secondaires est assez claire. Toutefois, aucune norme n’a été établie pour guider le fiduciaire qui choisirait d'investir dans des placements ESG.

À l’instar des États-Unis, l’approche de l’UE reconnaît d’abord les lois existantes au niveau des États membres (national), puis recherche un certain degré d’ « harmonisation » en établissant une série de normes à l'échelle de l'UE que chaque pays est encouragé à respecter, mais qui leur laisse aussi une grande latitude pour refléter leur propre cadre réglementaire en matière de caisses de retraite et leurs objectifs politique. Toutefois, la mise en œuvre des normes à l’échelle de l’UE et le degré d'accommodement accordé aux États membres créent beaucoup de tension. Contrairement à la loi américaine, les exigences actuelles et proposées comprennent l’obligation de prendre en compte les facteurs ESG dans les décisions de placement et l’obligation pour les administrateurs de régimes d’informer les participants de la façon dont cette obligation est respectée.

Le UK Stewardship Code de 2020 stipule que: « Les facteurs environnementaux – en particulier les changements climatiques – et sociaux, en plus du facteur de gouvernance, sont devenus des enjeux importants dont les investisseurs doivent tenir compte lorsqu’ils prennent des décisions de placement et assument des responsabilités de gérance. » Le principe 4 de ce code définit les changements climatiques comme un risque systémique, tandis que le principe 7 exige que les signataires « intègrent systématiquement la gérance et le placement, y compris les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance importants, ainsi que les changements climatiques, dans les responsabilités dont ils doivent s'acquitter. » La nouvelle réglementation du Royaume-Uni, qui est entrée en vigueur en octobre 2021, exige que les fiduciaires déterminent les risques et les occasions liés au climat et leur impact sur la stratégie de placement ou de financement du régime; choisissent des paramètres pour évaluer les émissions de gaz à effet de serre attribuables aux placements du régime et documenter l’évaluation des risques liés au climat; conçoivent des stratégies pour réduire l’exposition aux risques et établissent des cibles mesurables pour gérer ces risques; et effectuent des analyses de scénarios qui tiennent compte de l’impact de l'augmentation de la température mondiale – y compris une hausse de 1,5 à 2 degrés Celsius au-dessus des niveaux préindustriels – sur la résilience de la stratégie de placement ou de financement du régime, ainsi que sur l’actif et le passif du régime.

Au Canada, depuis 2016, l'article 78(3) de la Loi sur les régimes de retraite de l’Ontario exige qu’un énoncé des politiques et procédures de placement comprenne un énoncé indiquant si les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) sont pris en compte dans les politiques et procédures de placement du régime et, le cas échéant, comment ils ont été intégrés. Plus récemment, le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) a publié un document de travail sur les risques climatiques et le secteur financier (Document de travail: Incertitude et changements climatiques :Déjouer le risque lié aux changements climatiques par la préparation et la résilience). En ce qui a trait à la surveillance des institutions financières fédérales (IFF) et des régimes de retraite sous réglementation fédérale (RPAF), le document indique que « Bien que les documents d’orientation actuels du BSIF ne traitent pas expressément du risque lié aux changements climatiques, ils énoncent des principes et des attentes qui s’appliquent à la gestion de ce risque par les IFF. » 4 En d’autres termes, même si les enjeux liés au climat ne sont pas expressément définis dans la loi actuelle, s’ils sont pertinents, ils doivent être abordés, comme tous les autres facteurs pertinents.

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Quel Est Le Rôle De L’obligation Fiduciaire Dans La Promotion De La Durabilité?

Comme en témoignent les exemples mentionnés plus haut, actuellement, les exigences des cadres politiques et réglementaires dans le monde pour l’intégration des facteurs ESG et des changements climatiques varient considérablement. Toutefois, globalement on tend vers un renforcement de l’interprétation du rôle de ces considérations dans l’obligation fiduciaire. Une telle intégration constitue une condition nécessaire, mais insuffisante pour rediriger les ressources nécessaires vers des investissements et des décisions d’affaires durables. En d’autres mots, les obligations fiduciaires se transforment en exigeant qu'on tienne compte de la façon dont les enjeux de durabilité influent sur la décision de placement, mais pas nécessairement de la façon dont la décision de placement influe sur la durabilité.

D’autres changements autres que réglementaires montrent également un élargissement de la « portée » de l’obligation fiduciaire. Par exemple, en août 2019, la Business Roundtable a publié un manifeste sur la mission des sociétés. Ce manifeste a été signé par 181 chefs de la direction aux États-Unis, qui se sont engagés à diriger leurs entreprises dans l’intérêt de toutes les « parties prenantes », c’est-à-dire les clients, les employés, les fournisseurs, les collectivités et les actionnaires. Cela marque un tournant par rapport à la position antérieure selon laquelle les intérêts des actionnaires devaient primer, ce qui est conforme à la réglementation fiduciaire américaine en vigueur.

Carol Hansell de Hansell LLP a récemment publié un important avis juridique5 selon lequel les administrateurs canadiens doivent tenir compte des risques et des occasions liés aux changements climatiques pertinents pour les sociétés qu'ils administrent. Son analyse fait ressortir la nécessité pour les administrateurs de veiller à ce que les dirigeants élaborent des stratégies pour contrer les risques et profiter des occasions liés aux changements climatiques lorsqu'ils sont importants, sous peine d’avoir à assumer une responsabilité juridique, comme pour tout autre type de risque.

Un autre avis juridique important de Randy Bauslaugh, de McCarthy Tétrault LLP, en mai 2021, conclut que les questions liées aux changements climatiques relèvent directement de la responsabilités des fiduciaires des caisses de retraite. En particulier, le rapport tire cette conclusion en se fondant sur l’interprétation de la loi actuelle et sur l’acceptation du fait que les changements climatiques constituent un facteur financier important. En fait, l’avis n'élabore pas longuement sur la question de savoir si la prise en compte des changements climatiques est la bonne chose à faire pour les caisses de retraite d’un point de vue social ou moral, en déclarant: « En fin de compte, leur gestion doit être axée sur la valeur plutôt que sur les valeurs, ainsi que sur le fait que le changement climatique affecte la valeur. » 6

Le Groupe d’experts canadien sur la finance durable a souligné l'importance déterminante de la définition de l’obligation fiduciaire et de son interprétation par les participants au marché. En particulier, la recommandation no 6 du rapport final est formulée comme suit: « Clarifier la portée de l’obligation fiduciaire dans le contexte des changements climatiques. » Un rapport de septembre 2021 de l’ISF indique cette recommandation n’a fait que des progrès modérés, alors que les résultats d'un sondage inclus dans ce rapport indiquaient qu’il s’agissait du deuxième « besoin potentiel d’action à court terme » le plus souvent cité parmi les experts sondés pour le rapport.7 Nous convenons avec le Groupe d’experts et d’autres experts également qu’il s’agit d’une étape importante pour permettre une transition plus rapide vers la finance durable au Canada.

Cette version en français a été produite grâce à l’appui et la générosité d’Addenda Capital.

This series explores the foundations of sustainable finance, one of the most important emerging fields of our time. Sustainable finance aligns financial systems and services to promote long-term environmental sustainability and economic prosperity.